Chansons de l'Exil en Provence
Eliud
Gostava tanto de voce
Trem das onze Vive na cidade :Une chanson d'exil Mulher brasileira Zaa, chanson de l'exil

Chansons brésiliennes

Eliud vit depuis plus de vingt ans dans le sud du Vaucluse avec son épouse et s

es trois enfants. Il fait partie d'une chorale de choro brésilien, musique populaire vivante et conviviale, initiée par l'association et les musiciens de la Roda (www.laroda.fr).

Mais il a toujours joué de la guitare et toujours chanté, à la brésilienne, à chaque fois que l'occasion se présente, autour d'une table, d'un feu, en groupe ou en solitaire. En particulier certaines chansons du Brésil qu'il affectionne particulièrement et qui puisent dans des répertoires musicaux très divers .

 

« De chansons anciennes, j'en connais un paquet. Ma mère chantait souvent, parfois dans une autre langue, celle des Indiens Topigorani je crois. Je me souviens encore de certaines paroles. Pourquoi dans cette langue ? Je ne sais pas, elle n'était pas descendante d'Indiens, mais mon père l'était, sans doute connaissait-elle cette chanson par lui. C'est une chanson très différente de la musique brésilienne, plus saccadée, plus rythmée. Elle ressemble un peu à une prière et elle parle d'un enfant – Koloni.

Mon arrière grand-mère paternelle était une Indienne. Elle a été attrapée au lasso. C'est une histoire ancienne dont j'ai entendu parler dans les discussions de famille, mais de manière générale, on parlait très peu de tout cela. Durant mes études d'histoire, j'ai appris quelques mots d'indien, et c'est ce qui m'a permis d'identifier les mots de cette chanson.

Je suis né dans le nord du Brésil. Neuvième d'une famille de dix enfants, cinq garçons et cinq filles, une équipe de foot ! Plus tard, mes parents ont également adopté une cousine et un cousin, dont les mères sont mortes en couche.

Mon père travaillait à la mairie du village. Quand j'avais deux ans, il a été obligé de quitter sa région et s'est installé à Sao Paulo, où ma petite sœur est née. Il est d'abord venu seul pour trouver un travail, puis nous l'avons rejoint avec ma mère, en bus : quatre jours de bus !

Je suis retourné une fois dans ce village où je suis né, ; j'avais trente ans. La mère de mon père et une partie de sa famille étaient toujours là. J'étais avec mon frère. A mon retour, j'ai appris le décès de mon père. Il était déjà malade, certes, mais pourquoi est-il parti à ce moment précis ? Quand ma mère est décédée, des années plus tôt, j'étais avec ce même frère en Europe. Il m'avait rendu visite, puis était parti se promener en Espagne. J'ai dû appeler tous les hôtels du pays pour le retrouver.

Dans ce village, j'ai trouvé ma grand-mère paternelle, dont je me rappelais à peine. Elle nous avait rendu visite à Sao Paulo en 1974. à son arrivée, sa première remarque avait été : « Qu'est-ce que c'est que cette fumée ? Et cette odeur ? » Ma grand-mère découvrait la pollution, elle n'est restée qu'une semaine puis a repris le bus et n'est plus jamais revenue. Elle a vécu jusqu'à ses 104 ans. C'était une femme incroyable, qui a toujours dormi dans un hamac, n'avait jamais mal au dos et passait beaucoup de temps à faire du tricot, sans lunettes ! Elle a vécu seule jusqu'à ses cent ans.

Mon père est décédé avant elle, à l'âge de 84 ans. Une force de la nature, mon père, mais il a pris un coup au moment du décès de ma mère, qui n'avait que 68 ans. C'était l'année de la naissance de Samuel, mon fils ainé.

Et ton père, est-il retourné dans son village natal?

Il est allé plusieurs fois dans la région. Il avait beaucoup de terres sur place, de grandes superficies, mais il ne les utilisait pas et des familles s'y étaient installées. Une loi locale stipule que si le propriétaire ne vient pas sur ses terres et ne se manifeste pas auprès des autorités publiques pendant x années, l'Etat en prend possession. Or, s'il est allé plusieurs fois dans la région, il n'a jamais fait aucune démarche pour récupérer ses terres. Ses amis, ses frères et sœurs lui conseillaient d'y aller, mais il répondait toujours : « Pourquoi irais-je déloger des gens sous prétexte que la terre m'appartient ? » Pour lui, ça n'avait aucun sens. Au fond, mon père était une véritable chef indien : toujours posé, il savait ce qu'il devait faire et dans la famille, il était un pilier, une référence ; beaucoup lui demandaient conseil. Du vivant de mes parents, il y avait toujours du monde dans leur maison : des cousins, mes frères et sœurs, des oncles. Mon frère ainé, qui vivait à côté de chez eux et était souvent à la maison, n'est plus venu après leur décès. Aujourd'hui, trois sœurs y vivent encore : l'une est mariée et a un enfant, qu'elle a adopté ; les deux autres ne sont pas mariées. Quand j'y vais, je m'installe dans cette maison et la famille me rend visite, je suis fédérateur sans le savoir, mais en dehors de mes visites, je ne suis pas certain qu'ils se réunissent souvent. Lors de mon prochain séjour, j'irai un peu chez les uns et les autres, pour les voir autrement.

Il y a quelques années, ma sœur a marié sa fille et pour cette occasion, toute la famille française de Michèle, ma femme, a été invitée. C'était un beau mariage, avec beaucoup de monde. Pendant ce séjour, mon neveu français a rencontré ma nièce du Brésil. Le coup de foudre ! Aujourd'hui, ils sont mariés et vivent en France, leur fille a trois ans et ils partent demain au Brésil pour fêter son anniversaire !

Toi, comment as-tu décidé d'aller en France ?

À l'époque, je suivais des études d'histoire à la faculté et en parallèle, je travaillais comme coursier pour gagner ma vie. Un de mes copains, qui était en études d'ingénieur, donnait des cours de soutien scolaire en mathématiques dans un bidonville. Il m'a proposé de me joindre à lui, pour du soutien en histoire. J'ai commencé à aller dans ce quartier et très vite, j'ai réalisé que les gamins n'étaient pas près à suivre des cours, il avaient d'autres problèmes plus importants : de drogue, d'alcool, de prostitution. Alors nous avons continué à intervenir, mais pas en soutien scolaire. Il fallait surtout leur changer les idées, leur vider la tête et en même temps, les faire parler. Nous nous sommes mis à faire autre chose, par exemple travailler le bois. Je passais là tous mes week-end, j'étais dans mon élément. Un jour, un stagiaire allemand a débarqué pour travailler avec nous pendant plusieurs mois. Il m'a parlé des échanges auxquels il participait par le biais d'une association oecuménique. Il m'a demandé si j'avais envie de faire un séjour en Europe. Oui, j'étais intéressé, surtout par la France. Et deux mois plus tard, il m'apprend que je suis accepté, pour un séjour d'une année. J'avais vingt ans ! J'ai demandé conseil à mon père, qui m'a demandé d'aller en parler à ma mère : elle a considéré que c'était une très bonne idée. Il n'y avait qu'un seule condition : « on ne te posera pas de question, mais tu reviens au moindre problème ».

Je suis parti le 6 décembre 1987 et j'ai été accueilli dans une maison d'étrangers par l'association qui organisait l'échange. Je ne parlais pas un mot de français, donc les débuts ont été un peu compliqués, mais j'ai suivi des cours à l'école puis l'association m'a proposé un poste à Marseille, que j'ai prolongé un an puis de nouveau six mois. C'est durant cette période que j'ai connu Michèle.

En juin, deux ans et demi après mon arrivée, je suis rentré au Brésil, Michèle m'a rejoint en août et nous avons vécu une année là-bas. Les années suivantes, nous nous sommes installés en France et avons commencé les allers et retours entre les deux pays. Ensuite, il y a eu la naissance des enfants : Samuel, Jonathan, puis Maelle.

Ta famille maternelle ?

Il y a des origines portugaises : mon grand-père et mon oncle avaient les yeux bleus, ma mère et ses frères avaient la peau blanche. Mais je n'ai jamais rien su sur l'histoire familiale et aujourd'hui, il ne me reste qu'une tante, les autres ont disparu.

La musique dans la famille ?

Mon oncle maternel était un musicien hors-pair qui jouait de tout. Les yeux bleus, mais aveugle de naissance. Quant au reste de la famille, on peut dire que nous jouons de la musique sans jouer de la musique. On a le rythme instinctif. Quatre ou cinq nièces jouent du violon, mon père avait une guitare, moi aussi. J'ai commencé à l'âge de quatorze ans, puis je me suis arrêté à cause du solfège auquel je ne comprenais rien. J'ai repris en France, mais je ne joue que pour moi, surtout de la musique brésilienne. Certaines chansons me plaisent beaucoup, notamment une qui évoque l'exil : quelqu'un part de la campagne et va tenter sa vie dans une grande ville. Il raconte qu'il ne trouve pas ce à quoi il s'attendait. Dans l'exil, on a tout et rien.

En France et en Europe, les gens vivent beaucoup pour soi et ont du mal à regarder à côté. Au Brésil, c'est l'inverse, et quand tu demandes un itinéraire dans la rue, si la personne n'arrive pas à te l'expliquer, elle t'emmène ! Cet aspect m'a toujours manqué. Au début de mon séjour en France, je me suis longtemps demandé ce que signifiait ce « chais pas » que les gens me renvoyaient si souvent quand je leur demandais mon chemin dans la rue. Dans les administrations, à la Préfecture, on écorchait nos noms, certains ne faisaient pas beaucoup d'effort et on se sentait mal considérés.

Aujourd'hui, j'ai fait une impasse sur beaucoup de choses, je me suis habitué à ma vie française et je sais bien qu'au fond il y a autant de gens intéressants ici qu'ailleurs. Des gens biens, j'en trouverai partout. Mais s'il y a une chose qui continue à me manquer vraiment, c'est ma famille et ça, je ne peux rien y faire.

Avec tes enfants, parles-tu portugais ?

Avec Samuel, j'échange parfois en portugais, c'était l'ainé, j'ai fait attention à lui apprendre. Avec Jonathan et Maelle, beaucoup moins, un peu de mon fait et un peu parce qu'ils n'en ont pas envie. Je comptais sur Samuel pour m'aider, mais ça n'a pas marché. Parfois, je ne sais plus dans quelle langue je parle. Pourtant, quand elle est au Brésil, Maelle se débrouille, elle comprend ses cousins, elle parle. Dans ma famille, beaucoup se sont mis au français.

Je chante souvent; parfois, Samuel chante avec moi; Jonathan est moins intéressé. Une autre autre chanson qui me plait beaucoup est une chanson paysanne, très démodée et pourtant toujours d'actualité. Et puis il y a une petite samba, que je peux accompagner à la guitare. »

 

 

 

 

 

 

 

 

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