Chansons de l'Exil en Provence
Ghislaine
L'enfant de la misère
La Strasbourgeoise Les roses blanches

Les chansons de ma mère

Elle porte une blouse à fleurs

Propos recueillis par Marie d'Hombres

Je rencontre Ghislaine en 2014. Elle a alors le projet de créer un disque pour son fils, Dorian, qui n’a encore que quelques mois. Elle a toujours aimé chanter et la naissance de son enfant a redonné de la vigueur à son désir de transmettre les mélodies qui lui tiennent à coeur.

Quand nous nous rencontrons, Ghislaine me raconte son histoire, poignante, afin de situer le contexte de deux chansons - La Strasbourgeoise et L’enfant de la misère - que lui chantait sa maman quand elle était enfant. Elles constituent un véritable patrimoine familial, ce qui reste de la grand-mère de Dorian. Leur contenu évoque, vus par un enfant, le milieu ouvrier, les guerres, la pauvreté et les difficultés sociales du siècle dernier.

Autant d’épisodes douloureux que la voix douce de Ghislaine transmet avec délicatesse.

 

« Les deux chansons que j’ai choisies héritent d’une longue histoire parce que l’une, La Strasbourgeoise, date a priori de la guerre franco-prusse en 1870 et l’autre, L’enfant de la misère, était chantée par Berthe Silva en 1930.

On m’a souvent fait remarquer que ces chansons étaient très tristes. À vrai dire, je suis tellement attachée à la mélodie, je les connais si bien que je ne m’en rends plus compte. Si je les chante encore aujourd’hui, c’est parce que ce sont les deux cadeaux que ma maman m’a laissés. Lorsque j’étais enceinte de mon fils, Dorian, elles me sont revenues naturellement, comme des berceuses. Si l’on porte attention aux textes, on se rend compte que ce sont des histoires très fortes, qui racontent la souffrance d’une petite fille. Maman devait se reconnaître dans ces chansons. Quand j’étais petite, elle me faisait répéter les paroles, elle voulait me les apprendre. Je suppose que ce n’est pas pour rien.

Ma mère, je ne l’ai pas beaucoup connue car j’avais six ans lorsqu’elle est décédée. Je ne sais pas grand-chose d’elle, sinon qu’elle est une enfant de la guerre, qui a été déposée aux bons soins d’un orphelinat tenu par des religieuses à sa naissance, en novembre 1941. Enfant de parents inconnus donc. Elle a grandi là, en Bourgogne et je suppose que c’est là qu’elle a appris ces chansons. Elle s’appelait Christiane. Je ne sais rien d’autre sur cette période de sa vie. Mes sœurs aînées ont certainement entendu plus d’histoires venant d’elle et de mon père, mais lorsqu’elles m’en parlaient, elles étaient tellement négatives que je n’ai jamais voulu en savoir plus. J’avais l’impression qu’elles me parlaient d’étrangers et je voulais garder de mes parents des souvenirs positifs, des images paisibles, ceux et celles de mon enfance. Je pense aussi qu’avec moi, la petite dernière, mes parents se comportaient différemment, ce qui a sans doute provoqué la jalousie de mes sœurs.

J’ai gardé en tête quelques images : maman est dans la cuisine, elle porte une blouse à fleurs et le vent fait bouger sa blouse. Ou bien : elle me tient par la main et nous allons au parc. Et puis il y a ces deux chansons qu’elle me fait répéter, inlassablement, pour que je les apprenne.

J’ai beaucoup plus de souvenirs de mon père. C’était un homme admirable, il se levait tous les matins pour subvenir aux besoins de sa famille. Je me souviens de sa mobylette et me revois serrant fort mes bras autour de sa taille pour ne pas tomber ; de ses trophées et ses médailles gagnés dans sa jeunesse quand il faisait des concentrations de motos ; de sa moustache qui me piquait le visage quand il m’embrassait.

Mes parents se sont connus à Dijon et sont venus s’installer à Marseille parce que ma mère voulait voir le Sud ! Mon père est né en 1938, dans une famille nombreuse, six ou sept enfants.

Quand il arrivent à Marseille, mes parents s’installent d’abord dans un hôtel meublé du quartier Belsunce et mon père débute comme laveur de vitres. Puis il trouve un emploi de manœuvre. Et ils vont habiter ailleurs : d’abord au Petit séminaire puis quartier Saint Paul. Au total, ils ont sept enfants ; je suis la dernière, la petite dernière car mes sœurs sont beaucoup plus âgées que moi, j’ai même un neveu âgé de deux ans de moins que moi !

Ma mère décède quand j’ai six ans. Comme mon père ne peut pas s’occuper de mon neveu et moi, ce sont d’abord mes sœurs qui nous gardent. Ensuite, je suis placée, quelque temps dans un foyer, puis dans une famille d’accueil pendant cinq ans. Je découvre alors une vraie vie de famille, ne rentrant à la maison que le week-end et durant les vacances.

Quand j’ai treize ans, mon père meurt. Comme je suis orpheline, mes sœurs demandent à avoir ma garde et l’obtiennent. Pour moi, c’est une rupture difficile : je dois quitter ma famille d’accueil et vivre de nouveau dans la maison de ma sœur.

De ma vie de famille, je garde quelques bons souvenirs de moments collectifs - des repas, des rires- mais surtout des moments douloureux. C’est la raison pour laquelle j’ai fait le choix de ne plus les voir. Malgré tout, j’ai trouvé la force de passer mon baccalauréat et de faire des études. J’ai toujours cru qu’une autre vie était possible. Une voix me chuchotait : « Tu vaux mieux que ça ! il n’y a que l’école qui t’aidera ! ». Et c’est vrai, l’école m’a beaucoup aidée : j’ai pu passer le baccalauréat puis obtenir une bourse pour suivre l’université à Aix-en-Provence.

J’ai très peu de photos de mes parents car tout est resté chez mes sœurs. Sur l’une d’entre elles, maman et moi sommes côte à côte. Mais je ne suis pas dans ses bras, nous ne nous faisons pas de câlin. Je n’ai qu’une photo de mon père et je ne suis pas avec lui dessus. Aujourd’hui, à la maison, je vis au milieu de photos encadrées nous représentant tous les trois : mon mari, Dorian et moi. J’en ai besoin !

Je veux pouvoir inventer une autre manière de vivre en famille, plus paisible, moins violente, une autre vie pour nous, sans influence néfaste. Je veux transmettre à mon fils de belles choses, par la mélodie et les comptines. Je crois que la musique permet de faire vibrer le corps et d’exprimer les émotions. Alors je chante : il y a les comptines, les chansons de ma mère et celles que j’ai apprises ailleurs. Dorian me regarde, réagit, danse et chaque soir s’endort avec le CD de ma voix chantant, entre autres, les chansons de ma mère. »

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