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« (...) Jagdish, c'est mon vrai prénom et mon nom de scène. Je suis chanteur Séga, la musique populaire de l'île Maurice. J'ai grandi avant et après l'indépendance, j'ai les deux côtés. Je suis né anglais en 1966 et l'indépendance a eu lieu en 1968.
J'ai passé toute mon enfance et mon adolescence à la Cité Barkly dans la ville de Beau-Bassin. J'ai toujours vécu dans la musique. Le village (chez nous, on l'appelle « la cité ») où je suis né était un vivier de musiciens et de chanteurs d'où sont sortis de grands artistes mauriciens. C'est un peu une cité ghetto, pauvre, ouvrière. La culture musicale était forte à cet endroit. Mon voisin était fabricant de "ravane", de tambours, d'où ma grande affection pour cet instrument. Quand les grands musiciens de l'Ile Maurice venaient acheter leur ravane, ils les essayaient et nous, les enfants de la cité, on les regardait et on voulait faire comme eux. Le Séga, c'est la première chose que le minot va chanter, dès 3 ou 4 ans. On va l'écouter à la radio, chanté par les mecs du quartier, dans une fête parce que nous, les Mauriciens, on va au bord de la mer le week-end pour boire, fumer, chanter, jouer. À l’époque, il y avait un bal tous les samedis, on dansait beaucoup et encore aujourd'hui, la fête se perpétue dans la communauté mauricienne. C'est le système de l'esclavage qui a fait que les week-ends, les créoles se défoulent (même si autrefois, ils n'avaient que le samedi soir et le dimanche, le jour de l'église catholique). J'ai toujours pratiqué sans pratiquer comme on dit. On écoute, on se dit : « Je vais essayer de connaitre les paroles après je vais les chanter ». On n'a pas une approche d'étude musicale comme vous en Europe. Tu peux rentrer ensuite dans le côté professionnel, mais à la base, tu rentres dans la musique parce que ça te plait, c'est ta culture, c'est comme ça. A 6 ans, je faisais des concours de chant, je faisais du théâtre, je chantais dans la chorale de l'église. Du coup, j'ai toujours grandi avec ça, je ne savais même pas que j’allais faire de la musique un jour, on ne se pose pas de questions, c'est tellement inné. Plus tard, en arrivant en France, j'ai vraiment commencé à exploiter le Séga, à le comprendre, à m'interroger ; loin de tout, j'avais ce recul qui m'a permis de me poser des questions plus intéressantes et qui m'a fait comprendre que le Séga est tellement riche. Quand j'écoutais du reggae ou une musique américaine, ça me faisait un méchant feeling et quand j'écoute le Séga, ça me fait deux fois plus de feeling ! C'est dans mes veines, mon âme, c'est sanguin (...)".