Chansons de l'Exil en Provence
Emilia
Chale da minha mae
Coimbra Laurandinha Uma casa portuguesa Ora ponha aqui oseu pezinho Se vai ao bal Tirolirolo

Chansons portugaises

Du Portugal de Salazar à la France des années 1970

Propos recueillis par Marie d'Hombres

Emilia a quitté le Portugal de manière illégale, en 1969, alors que le pays vit sous la dictature salazariste.  Elle et son mari s'installent pendant une dizaine d'années dans les Pyrénées, puis à Vitrolles, dans le quartier des Pins, où je la rencontre une première fois en 2007 à l'occasion d'un travail sur l'histoire de cette cité et sa ville. Nous nous revoyons presque dix ans plus tard, pour les chansons. Chez Emilia et José, le Portugal est omniprésent : dans les objets décorant la maison- assiettes, lampes à pétrole, poupées, photographies, tableaux, mais aussi dans les mots et la musique.

Emilia n'a jamais cessé de chanter les mélodies de sa jeunesse. Et c'est avec plaisir qu'elle se laisse enregistrer. "J’ai toujours chanté, seule et avec d’autres : en faisant le ménage, en allant chercher les enfants, en faisant la vaisselle, en faisant n’importe quoi, je chante."


 

« Le 5 décembre 1969, j’étais en France, en règle, avec mes papiers. Il faisait froid, je ne connaissais pas la langue. Mais j’avais l’avenir devant moi, la possibilité de parler, bouger et rire sans avoir le sentiment d’être en permanence sur écoutes.

Nous sommes venus ici pour changer de vie, travailler, échapper au fascisme qui régnait dans mon pays. Là-bas, il fallait faire attention à tout ce qu’on disait. Tous les lieux étaient truffés d’informateurs. Tout était interdit. Même mon mariage a été annulé parce que le Président était malade ! On n’avait pas le droit d’émigrer. Pourtant, on en rêvait. Entre nous, on parlait sans arrêt de la France.

Mon mari a traversé la frontière le premier, clandestinement, à pied, de nuit, avec un passeur. Sans problème. Il s’est installé dans un petit village des Hautes-Pyrénées où d’autres personnes du pays vivaient. Elles l’ont aidé à trouver un logement et du travail dans le bâtiment et, de là, une carte de séjour, avec laquelle il pouvait désormais passer officiellement la frontière.

Quand j’ai appris qu’il avait trouvé un emploi, j’ai pris la décision de le rejoindre, en décembre. Mais pour une femme, le chemin était risqué. Alors, nous avons cherché une autre solution ; un ami de mon mari, qui était chauffeur de taxi, a été chargé de me mener en voiture jusqu’à la gare ferroviaire située à côté de la frontière. Là, j’étais censée prendre le train où mon mari m’attendait. Nous avions prévu de faire semblant de ne pas nous connaître jusqu’à ce qu’on ait passé la frontière.

Je suis partie un matin de mon village avec une petite valise, sans argent, sans papier.

J’habitais alors à 300 kilomètres de la frontière ; nous en avions pour trois heures de route. Personne n’était au courant de ma décision, sinon ma famille proche. Pourtant, il m’a semblé que le chauffeur s’en doutait puisqu’il m’a lancé au début du trajet: « Faites attention si vous allez en France !». Bien sûr, je n’ai pas relevé la remarque, j’ai nié.

Arrivé au village-frontière, il s’est arrêté à proximité de la gare, s’est retourné et m’a dit: « restez dans le taxi, je vais téléphoner. » Et il est sorti de la voiture, me laissant toute seule à l’arrière. Comme il ne revenait pas, je suis allée me promener un peu dans le village en attendant le train. Il pleuvait. Peu à peu, j’ai commencé à réaliser que tout le monde me regardait. C’est comme ça que j’ai compris : J’étais surveillée.

Quand le train est arrivé sur le quai, j’ai fait signe à mon mari, il m’a fait comprendre de monter quand même dans le train, au dernier moment, juste avant le départ, au dernier sifflement.

J’ai donc attendu…

Le train a sifflé.

Je suis montée.

Il n’a pas quitté la gare.

(…)"

Retour haut de page ▲
Chansons de l'Exil en Provence
Association Récits
» Contacter l'association Récits


Site réalisé avec le soutien de la région PACA
Bannière "En hommage à Lina" (©) Blandine Scherer
Chansons de l'Exil en Provence