Chansons de l'Exil en Provence
Weeraya
Chanson des étudiants révolutionnaires
Chanson de Chine Berceuse Thaï Une berceuse que me chantait mon père

Chansons thaïlandaises

Propos recueillis par Marie d'Hombres

Née en Thaïlande, Weeraya est venue en France pour y faire des études après une école d'architecture. Et elle est restée. Mariée avec un Français, elle a aujourd'hui trois enfants et vit à Aix-en-Provence. L'entretien débute par l'évocation d'une mélodie de son enfance qui lui a été transmise par ses grands-parents et se réfère sans doute à un ancien dialecte chinois. à travers elle se lit une histoire : celle des migrations chinoises en Thaïlande au début du vingtième siècle. Puis Weeraya raconte d'autres chansons et d'autres pans de l'histoire Thailandaise : la construction de Bangkok, la résistance des étudiants face au régime militaire pro-américain...

 

« Il y a une chanson dont je me souviens toujours, c'est celle que ma grand-mère me chantait dans un dialecte chinois, le tetchou. Elle était la deuxième épouse de mon grand-père, sa première femme ayant succombé à l'accouchement. C'est elle qui a élevé ses enfants et qui me gardait quand j'étais petite. J'avais environ trois ans au moment du décès de mon grand-père et onze au sien, donc je me souviens assez bien de ce qu'elle chantait. Il y avait cette comptine, dans une langue que je ne connaissais pas, mais que j'ai toujours entendue. Même ma mère, qui était Thaï, la chantait. Je ne sais pas ce qu'elle raconte et je dois dire que je ne la chante pas à mes enfants. En Thaïlande, on a tous des surnoms, qui sont généralement choisis en fonction de la sonorité des noms des parents : on m'appelle Hon, mes frères sont Hou et Hon. Hon est le premier mot de la chanson. Peut-être est-ce pour cette raison que ma mère la chantait aussi.

Weeraya chante.

De nombreux Chinois sont arrivés en Thaïlande au début du siècle dernier pour monter des commerces. La Thaïlande était encore un pays de riziculteurs vivant dans des maisons sur pilotis. Il y avait peu d'urbanisation et peu de commerces. Les Chinois sont arrivés les mains vides, mais ont très vite prospéré dans le commerce. J'ai lu, par exemple, qu'ils avaient été les principaux artisans de la construction de Bangkok. Mon grand-père était chinois ; comme il cuisinait, il a ouvert une petite échoppe en plein centre-ville. L'échoppe a grandi et est devenue un restaurant. Mon père est né en Thaïlande. Sa mère n'étant plus là, il a été nourri par le quartier. Puis mon grand-père s'est remarié avec une Thaï. C'est elle qui me chantait cette comptine venue de Chine !

Mon père a grandi et vécu dans ce quartier de Bangkok, majoritairement composé de gens originaires de Chine et quand il a épousé ma mère, qui est Thaï, ils ont continué à y vivre. Ils tenaient à l'époque une grande épicerie, à l'architecture sino-lusophone (que l'on nomme « les compartiments chinois »). Ma mère, au début de son mariage, a souffert de l'ambiance du quartier car les gens communiquaient entre eux avec ce dialecte chinois qu'elle ne comprenait pas. Moi-même, enfant, j'ai toujours entendu mon père parler avec ses sœurs ou ma grand-mère dans un mélange de Chinois Teitchou et de thaï, et de fait, je comprenais cette langue sans la parler. Longtemps après, à Paris, j'ai entendu dans une épicerie chinoise du treizième arrondissement (les frères Tan) une voix au haut-parleur qui annonçait la fermeture du magasin. J'ai tout de suite reconnu la langue. J'étais pétrifiée : je comprenais tout ! J'avais toujours cru que ma compréhension dépendait de la présence de mots thaï dans ce dialecte. En réalité, je la comprenais totalement, alors que je n'avais jamais cherché à la traduire ni même à l'écrire.

Ta mère chante-t-elle souvent ?

Elle chante énormément. Tout ce qui lui passe par la tête. Jeune, c'était une passion et elle voulait faire carrière. Mais son père, un professeur, n'a pas voulu et elle est devenue enseignante de sciences sociales et d'histoire, ce qui ne l'a pas empêchée de chanter beaucoup, que ce soit à la maison ou dans les fêtes. A l'âge de quarante ans, elle a passé plusieurs concours sans le dire à personne et elle a obtenu un prix. Puis elle s'est arrêté là, je pense qu'elle se trouvait trop âgée ; elle avait aussi trois enfants, du travail, etc. Mais elle continue à chanter et à siffler. Je l'ai même enregistrée quand elle siffle, c'est très beau.

Que chantait-elle quand tu étais petite ? Des berceuses ?

Pas vraiment des berceuses, plutôt des chansons gaies, de l'époque Big Ban et plutôt en journée. C'est mon père qui chantait pour nous endormir : la chanson de Miss Thaïlande était sa berceuse !

Dans son répertoire, il y avait également une mélodie très connue en Thaïlande et qui était chantée au cours des défilés royaux : Bangkok était une sorte de Venise orientale, parcourue de canaux par lesquels tout le monde se déplaçait. Les routes ont été construites plus tard par les Européens. Pour le défilé royal, on voyait voguer de magnifiques bateaux et les rameurs chantaient. Voilà ce que mon père nous chantait pour nous endormir ; je m'en souviens encore.

Weeraya chante la mélodie de son père 

Et toi, as-tu chanté ces berceuses à tes enfants ?

Pour mes enfants, je n'avais pas vraiment de berceuse Thaï en tête et il faut dire que je les trouve un peu tristes. Cela dit, à Paris, ma fille ainée, Natcha, avait une nounou Thaï et ses berceuses la calmaient immédiatement.

Quand je berçais mon deuxième enfant, Thomas, je chantais souvent une chanson datant de la révolution des étudiants Thaïlandais et que ma mère chantait quand j'étais enfant. En 1973, ils ont manifesté dans les rues de Bangkok contre le régime militaire et beaucoup ont été tués. à l'époque, la Thaïlande était l'alliée officielle des Etats-Unis qui y avaient établi des bases militaires aériennes pour bombarder le Vietnam. Le gouvernement américain avait très peur du communisme et le régime militaire acceptait donc de faire de la propagande anti-communiste. Mais des étudiants se sont soulevés ; ces mouvements ont entrainé la fermeture de l'université pendant près d'un an et le départ de nombreux intellectuels « dans la forêt » pour rejoindre les rebelles communistes. Pour évoquer la résistance, on utilisait cette expression : « partir dans la forêt ». Toutes ces personnes se sont exilées durant plusieurs années et ne sont revenues que quelques années plus tard, après 1975 (après la prise de pouvoir des communistes au Laos, au Cambodge, au Vietnam...)

Plusieurs chansons de cette période ont été inventées par ces rebelles : elles évoquent la résistance, les dures conditions de vie, le manque de la famille, etc. Celle que je chantais beaucoup à Thomas s'appelle La pleine lune ; elle a été composée par un grand poète et est très connue en Thaïlande ; elle parle du désir d'être chez soi, du froid et du vent dans la forêt, de la nostalgie du pays. Au début, quand je la chantais, j'avais les larmes aux yeux et j'en étais surprise. Mon exil en France, je l'ai choisi, alors je ne m'attendais pas à toute cette émotion !

Weeraya chante.

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