Chansons de l'Exil en Provence
Berivan

Chansons kurdes

« J'ai appris la musique par la danse »

« Je suis Kurde de Turquie. En 1991, je vivais avec ma famille à Diyarbakir (ou Amed en kurde), la capitale du Kurdistan côté turc. A l'époque, c'était la guerre entre Bush et Sadam. Les Turcs aidaient l'Amérique et tous ceux qui étaient contre Sadam. Alors Sadam a menacé la Turquie en disant : « Si vous continuez d'aider les pays qui sont contre moi, j'envoie une bombe chimique vers la frontière irakienne ». Comme on habitait près de l'Irak, on avait vraiment très peur. C'était une menace forte. Tout le monde s'est mis à acheter des masques et du plastique, des grandes bâches pour recouvrir les maisons. Puis mon père a dit : « On rentre au village ». Et on s'est installé dans le village de son enfance où je n'étais jamais allé. Il était situé à 90 kilomètres de la ville, donc on était un peu plus en sécurité. On est une grande famille - douze frères et sœurs - et pour mon père, ce n'était pas facile. A l'époque, on était tout petits et mon père était le seul à travailler. Certains de mes frères et soeurs ont dû arrêter l'école pour travailler la terre ce qui a soulagé mon père. En ville, il vendait des habits sur les marchés ou dans la rue mais à la base, il est cuisinier.

On est donc reparti au village, la chanson vient de là. Elle parle des filles qui vont chercher de l'eau au puits. Les jeunes hommes, quand ils ont envie de se marier, s'approchent de la fontaine pour observer les filles de loin. Cette chanson s'appelle « Berivan » qui signifie : « Les jeunes filles qui vont chercher de l'eau ». Les hommes regardent les filles et les filles font des gestes un peu... tu vois... pour qu'ils se trouvent... Quand je chante : « Aman, Aman », quelque chose se passe entre les filles et les garçons  : dans le coeur et le corps, il y a une chaleur qui monte... L'homme voit cette fille qui lui plait beaucoup et il se demande ce qu'il peut faire pour l'approcher. C'est une chanson d'amour. Généralement, les Kurdes font beaucoup de chansons politiques, des histoires d'exilés, de gens qui ont laissé leur pays, leur identité, leur culture. Mais de temps en temps, on fait aussi des chansons d'amour. Finalement, on vit là dedans aussi. Cette chanson est un appel : quand un garçon appelle une fille. Elle parle aussi du corps des filles, de leur démarche... Je joue sur un rythme très connu, un 2/4, qui s'appelle « delilo », c'est un rythme dansant.

La musique correspond à une danse ?

Oui, on est tous ensemble en cercle, les gens se tiennent les mains. En général, j'utilise des rythmes traditionnels ; je compose des chansons politiques et d'autres qui parlent de drogue par exemple. Il y a de tout. J'écris les textes en kurde, toujours. Je parle turc également puisque j'ai été scolarisé en turc. Mais quand je chante en turc, je ne me sens pas vraiment moi-même. Par contre, j'utilise le rythme turc.

Comment en es-tu venu à la musique ?

A la base, je suis danseur. J'ai commencé la danse à l'âge de 12 ans, à l'école, où j'ai appris la danse folklorique kurde.

Ce sont tes parents qui t'ont inscrit au cours de danse ?

Non, tout ça vient de moi. A l'époque, au Kurdistan, les parents ne t’emmenaient pas à l'école, ils ne te demandaient pas comment ça se passait, tu te débrouillais tout seul. C'est différent d'ici où tu prends la main de ton fils pour l'accompagner à l'école. Un jour, avant d'entrer en classe, on s'est mis en ligne dans la cour et les professeurs ont fait une annonce : "On commence un cours de danse kurde, ça intéresse quelqu'un ? » J'ai levé la main et voilà c'était parti, c'est comme un flash devant mes yeux. Avec notre groupe, on a gagné des concours : le premier prix de Dyarbakir et le deuxième prix de Turquie. Du coup, j'ai connu les musiques par la danse. A 18 ans, j'ai commencé à jouer du dul, c'est une sorte de grosse caisse avec deux baguettes. Ensuite, en arrivant en France, j'ai commencé à jouer du daf. J'en joue depuis cinq ou six ans. Le daf est plutôt un instrument kurde iranien. Nous, les Kurdes de Turquie, on l'appelle « ardané », les Kurdes iraniens l'appellent « daf » et les Kurdes syriens, « def ». Au Maghreb, cet instrument fait partie de la famille du bendir, ils l'appellent « def » également. Quand j'étais petit, j'allais aider mon père à vendre des vêtements dans le quartier sur une charrette trois roues. Dans la rue, les aveugles jouaient du daf, ou arbané. En échange, les gens leurs donnaient du boulgour, des lentilles corail ou une petite pièce. C'est la première fois que j'ai remarqué cet instrument. Il est resté dans ma mémoire et l'envie d'en jouer est ressortie en France grâce à un copain qui s'appelle Omer. Il en jouait, et j'ai appris avec lui. (...) »

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